FRANCK POURCEL

Failles, entre lieux et non-lieux est fondé sur une théorie formulée par plusieurs archéologues et anthropologues selon laquelle, il y a plus de 20 000 ans, lors de la dernière période glacière, des peuples venant d’Asie auraient traversé la Béringie (actuel détroit de Béring) pour parvenir jusqu’à l’Amérique du nord. Certains groupes se seraient fixés sur les terres au nord, alors que d’autres auraient poursuivi leur migration jusqu’au sud de l’Amérique.

Moscou, 1994

 

« La chute du bloc soviétique entraîne la libéralisation économique du régime totalitaire, collectivisé et planifié qu’était l’URSS.Elle se poursuit sans interruption depuis 1990. 

En ce mois de septembre 1994, je pars en autostop jusqu’à Paris, je trouve un bus pour Amsterdam puis pour Berlin, un troisième pour Varsovie. Un dernier bus de travailleurs émigrés me conduira à Minsk en Biélorussie. J’arrive enfin en gare de Belorusskaya, à Moscou, en train. La ville s’ouvre et s’offre à moi. Je suis dans ce moment charnière entre le monde d’avant et le monde d’après.

 

Cet « en même temps » que Serge Daney définit comme étant « le temps même de l’émotion ».

 

Je parcours la ville et ses quartiers, les marchés, les sorties de métro, les magasins, les monuments, les rues et je regarde les habitants. Tout m’est familier et en même temps me semble différent. Une partie d’échecs se joue dans le banya de Moscou. Les pièces du jeu comme les hommes sont immenses. Tout est démesuré dans un pays qui a la dimension d’un continent. Cette partie d’échecs révèle les tensions politiques de la Russie et fait résonner cet entre-deux. Sommes-nous face à des émergences ou à des survivances ? Est-ce la fin du communisme et le début du capitalisme ?

 

Espoirs et désenchantements se lisent sur les mêmes visages fermés. L’Occident apparaît pour la première fois sur les murs à travers ses emblématiques publicités américaines: Coca-Cola, Marlboro, et surtout McDonald’s dont j’assiste à l’ouverture du premier restaurant dans le centre de la capitale. Dans l’insouciance et avec intuition, je photographie. Il y a comme un rendez-vous des mémoires, celles passées de vies brisées par l’enfer stalinien et celles en devenir de ce qui sera bientôt l’instauration de nouvelles dictatures. Mais en ce mois de septembre 1994 aux jours incertains, il reste l’utopie d’un monde meilleur.

 

Lors du premier confinement de mars 2020, vingt-six ans après ce voyage fondateur, dans ce monde qui est tout aussi incertain, je me plonge dans les planches contacts oubliées dans mes boîtes de conservation. Je redécouvre ces photographies moscovites comme le marqueur d’une époque. J’explore un passé révolu qui fait écho à mes questionnements du moment. Ceux-là même qui me permettent d’explorer les failles et les contradictions de notre temps. Entre documentaire et poésie du quotidien, ces images de 1994 témoignent d’une réalité historique et d’une globalisation du monde qui était déjà en marche ».

 

Franck Pourcel, 

Stèles

Ulysse ou les constellations

Terrain·s de rêves

Le foot inclusif et +

 

Il est des histoires qui s’écrivent hors du temps. Celle-ci est pleinement dans le sien, celui d’aujourd’hui et de maintenant. C’est une page de l’histoire qui s’écrit car elle affirme avec insistance les besoins des personnes d’un changement profond du modèle de société qui nous est imposé par les lois de la finance et de la globalisation du monde. Sur fond, entre autres, de guerres et de crises socio-écologiques, ce monde est souvent désespérant. D’une certaine manière, il a été désenchanté et déshumanisé, vidé de sens par la logique du profit : une logique de la prédation, l’a réduit à une sorte d’abstraction. Que peut-on et que doit-on faire pour contrer cela ? RÉSISTER.

 

Comme dans d’autres endroits de la planète et à Marseille en particulier, le football, sport universel par excellence, est un formidable vecteur d’intégration et une sorte de religion qui permet aux personnes de se relier entre elles.eux. Sur la pelouse synthétique du quartier d’Endoume, les corps prennent place dans la nuit, au cœur de cette ville, aux pieds de la Bonne Mère. C’est elle, qui veille sur tous les marseillais·es, quelle que soit leur origine ethnique, sociale, leur couleur de peau, leur identité sexuelle, leur identité de genre : leurs différences. C’est la Bonne Mère de l’inclusion.

 

Sur les terrains des stades Tellène, Tasso, Busserade, Lucchesi, Ste Elisabeth,… à Endoume, aux Catalans, à la Belle de Mai, au Merlan, à la Blancarde, à Perrier ou ailleurs,… les joueur·euses arrivent dans un univers amical et respectueux. Car tout commence par une ronde bienveillante, où chancun·e est invité·e à clamer son prénom et son pronom. Qui es-tu ? Qu’importe tes origines !!! L’essentiel est de ne pas se tromper sur qui tu veux être. Ne pas te blesser, être toujours dans la bienveillance, c’est ce qui est rappelé en début d’entraînement. Puis les gestes s’enchaînent avec ou sans ballon, les équipes se forment avec les débutant·e·s et les connaisseur·se·s du ballon rond. En bleu, en vert, en jaune, ou sans couleur, chacun·e prend place à côté de l’autre, avec dextérité ou maladresse, les encouragements fusent, les applaudissements aussi.

 

Ce travail photographique sur la section foot de l’association MUST me permet d’écrire une histoire collective à partir des diversités individuelles. Au-delà des photographies de sport, mon regard veut mettre l’accent sur les mouvements des corps, l’élaboration des gestes, les plaisirs du jeu et des moments de joie d’être ensemble. Il s’agit en quelque sorte de valoriser celles et ceux qui contribuent à construire une société plus respectueuse, plus bienveillante et plus inclusive. Ici, il n’est pas question de faire l’impasse sur l’économie du partage. C’est une lutte permanente, une implication quotidienne. Une URGENCE.

 

                                                           Franck Pourcel – mars 2024          

 

BIOGRAPHIE FRANCK POURCEL

Photographe hyperactif, Franck Pourcel porte une attention toute particulière aux failles de notre temps et aux régions qu’elles abîment – dont l’espace intime des corps. Souci et poétique documentaires définissent son regard, qui longe sans cesse les lignes de partage entre l’habitable et l’inhabitable.

Territoires, objets, techniques, gestes : l’accumulation joue un rôle important dans son oeuvre. Il s’agit en quelque sorte de faire l’inventaire des formes et modes de vie ayant cours dans un monde globalement ravagé par le capitalisme, pour mieux cerner ses possibilités de réinvention – dont notre survie dépend.

Soraya Amrane, Rafael Garido – Galerie Zoème, Marseille, 2017.